http://www.ladepeche.fr/article/2014/05/04/1874956-de-nouveaux-droits-pour-les-chiens-et-les-chats.html
(Interview de Brigitte Bardot, Présidente de la Fondation Brigitte Bardot)
De nouveaux droits pour les chiens et les chats
Depuis trois semaines, Byebye, jolie femelle colley n'est plus un «bien meuble», ainsi désignée par le Code civil depuis plus de 200 ans, mais un «être vivant doué de sensibilité», ce dont sa maîtresse n'avait jamais douté.
Ainsi en a décidé la commission des lois de l'Assemblée nationale, réagissant à la pétition lancée par la fondation 30 millions d'amis et au sondage de l'Ifop démontrant que près de 9 Français sur 10 étaient favorables à un changement du régime juridique des animaux domestiques dans le Code civil. Simple harmonisation de vocabulaire, cette nouvelle dénomination ne devrait pas changer la protection des animaux : le Code rural considérait déjà leur caractère d'êtres sensibles et le Code pénal punit les actes de maltraitance. Un tribunal de Marseille n'a pas attendu le changement de vocabulaire pour condamner à un an de prison ferme, en février dernier, un jeune homme qui avait torturé un chat et avait posté la vidéo sur internet.
«Un membre du foyer»Mais l'entrée de ces êtres sensibles dans le Code civil devra modifier la vision que l'homme a des animaux, avec qui il partage la planète, et souvent l'appartement.
«L'animal est un membre du foyer à part entière», remarque un vétérinaire toulousain, pour qui la prise en charge de la douleur physique est associée à celle de la douleur psychique, «et cela va dans les deux sens, parce qu'il peut m'arriver d'appeler le médecin d'une mamie déprimée par la perte de son petit compagnon !».
La France double sa population en comptant les animaux de compagnie, évalués à 63 millions. Et si elle n'est pas le pays le plus en pointe, elle applique néanmoins la convention européenne pour la protection des animaux domestiques, qui interdit par exemple de tailler les oreilles des chiens ou de dresser un animal d'une façon qui porte préjudice à sa santé et à son bien-être. Et bien entendu de l'abandonner, en forêt ou à la grille de la SPA.
Les plus protecteurs en Europe sont l'Autriche, qui interdit de maintenir un chien attaché ou la vente en animalerie, l'Italie, où les chercheurs peuvent refuser l'expérimentation animale, la Suède qui leur confère une «dignité intrinsèque», ou la Grande-Bretagne et le statut dans l'«Animal Welfare act».
En cas de divorceLa sensibilité reconnue des animaux donnera peut-être un nouveau terrain de lutte juridique aux opposants à la corrida ou à la production de foie gras. Mais la question pourrait bientôt survenir dans les cas de divorce. «Considéré comme un bien meuble, l'animal est attribué le plus souvent à celui qui reste dans le domicile, explique l'avocat Vanessa Brunet-Ducos, on a vu le cas récemment avec des chevaux.» Dans l'avenir, chien, chat et couvée pourront avoir un traitement à part. Ce sera au juge de faire preuve de sensibilité.
Son ami le sanglier...les exemples prouvant que les animaux ne sont pas des meubles, encore moins des immeubles, courent les sites internet. Les chiens comme les chats peuvent parcourir des distances impressionnantes pour retrouver leur maison, mais plus sûrement leur maître.
D'après Maria, grande amie des animaux, «le sentiment compte pour eux, on dit à la campagne qu'une bête se donne à vous.» C'est évident pour un chien, principal animal domestiqué par l'homme : Maria a ainsi été «choisie» par un berger abandonné qui lui a offert de belles années de compagnonnage. Il la suivait jusqu'à son travail pour se cacher sous son bureau.
Des éléphants à l'enterrementMais ceux qu'on appelle les bêtes sauvages on t aussi des comportements démontrant leur sensibilité, voire leur gratitude. En mars 2012, à la mort de Lawrence Anthony, grand sauveur de la faune en Afrique du Sud, un cortège de deux troupeaux d'éléphants s'est retrouvé auprès de son domicile. Ils ont veillé deux jours et deux nuits avant de repartir.
Plus près de nous, ce sont les sangliers qui s'approchent de l'homme. Deux exemples en Tarn-et-Garonne.
A Saint-Paul d'Espis, Bamby a grandi auprès d'un octogénaire, Yvan Blaise, qui l'avait recueilli, petit marcassin, dans une chaussette. Quand les gardes ont voulu lui retirer cette bête sauvage de près de 134 kg aujourd'hui, il a prévenu : «Je préfère qu'on m'abatte moi, plutôt que le sanglier !». A cette heure, les deux sont en bonne santé.
A Donzac, le marcassin qui s'était donné à Maurice Gayral, est une laie âgée aujourd'hui de 14 ans, qui vit paisiblement dans son parc jouxtant la maison. Menacée d'euthanasie par l'administration, Chipie a ému des lecteurs du monde entier, et même Alain Delon, d'autant que d'après son maître, elle est arrivée dans sa vie «quand tout allait mal pour moi !».
Jean Glavany, député«Un texte plus ambitieux est dans les cartons»Le député PS des Hautes-Pyrénées Jean Glavany a été le corapporteur de l'amendement voté par la majorité dans le cadre d'un projet de loi de modernisation et de simplification du droit. Cette modification législative fait suite à la pétition lancée il y a près de deux ans par la fondation 30 millions d'amis, qui a rassemblé près de 700 000 signatures.
«Cette démarche, nous explique Jean Glavany, fait suite à de nombreuses rencontres avec des personnes d'horizons divers. Et puis, il y a eu cette pétition d'intellectuels, dont Boris Cyrulnik, Edgar Morin, etc. En fait, il s'agissait de réparer une anomalie : le code civil considère en effet les animaux domestiques comme des meubles. On s'est rendu compte que neuf Français sur dix étaient favorables à un changement de ce statut. C'est donc dans ces conditions que je me suis mis au travail et que j'ai fait passer cette proposition. En fait, il s'agit juste d e mettre en cohérence le code civil, avec le code pénal et le code rural, qui tous les deux, reconnaissent le caractère sensible de l'animal. C'est une harmonisation.»
Il existe dans les cartons de l'Assemblée nationale un texte concernant les droits des animaux beaucoup plus vaste et plus ambitieux.
«Mais à l'heure actuelle, un tel débat susciterait des réactions vives du côté des chasseurs, des éleveurs, des amateurs de corrida…» concède Jean Glavany.
Et le gouvernement n'a certainement pas envie, en ce moment d'ouvrir un nouveau front sur un débat sensible, qui de tout temps, a suscité des passions contraires.
«La corrida ? Mes contradictions…»Comment Jean Glavany, grand amateur de tauromachie a-t-il pu défendre ce texte ?
«Chacun porte ses propres contradictions, explique le député des Hautes-Pyrénées. Moi, j'aime les taureaux de combat et d'élevage. Je trouve que ces animaux ont une beauté et une noblesse extraordinaire. Ce sont des bêtes qui me fascinent et me passionnent. Pour cette passion, je suis capable d'aller les voir jusqu'en Andalousie. Mais je suis comme tout le monde, je n'aime pas voir souffrir le taureau et je préfère quand il est tué de manière nette et franche.»
Les héritiers à quatre pattes ?En France aujourd'hui, on peut inclure les animaux dans ses dispositions testamentaires, notamment pour désigner la personne qui enprendra soin après sa mort. Mais tant que les animaux domestiques étaient considérés comme des «meubles» dans le Code civil, il était impossible d'en faire des héritiers! la question pourra se poser à l'avenir, comme ce fut déjà le cas en Italie, où un chat devait hériter d'une petite fortune (qui a finalement été reversée en partie à des associations de protection animale). Aux Etats-Unis, il est possible de léguer sa fortune à son chien en deshéritant ses enfants (ce qui ne se fait pas chez nous!) . Des maisons de retraite spécialisées accueillent à grand frais les vieux jours des petits compagnons.
«Ce que je veux, avant ma mort, c'est que tous les animaux soient étourdis avant abattage»
Fondatrice et présidente de la fondation qui porte son nom, Brigitte Bardot estime dans cette interview qu'il était temps de faire changer le statut civil des animaux, même si cela ne changera pas grand-chose...
Les députés viennent de reconnaître aux animaux domestiques la qualité «d'être sensibles». C'était une reconnaissance que vous attendiez depuis longtemps ?C'est une évidence, l'animal est un être vivant, un être sensible, le nier est une aberration et même une abomination car il s'agit de chosifier l'animal pour mieux l'exploiter. L'amendement adopté par les députés rend cohérent les différents codes, le caractère d'être sensible de l'animal est déjà reconnu dans le droit national et européen. Ce qui est incroyable, c'est qu'en 2014 nous en soyons encore à nous poser la question…
Cette loi doit-elle s'appliquer à tous les animaux ?Hélas non, les animaux sauvages n'ont toujours pas de statut juridique, pire encore, certaines espèces sont classées «nuisibles», ce qui entraîne des procédés de capture et de mise à mort plus barbares les unes que les autres. Il faut vraiment supprimer cette classification de «nuisibles», la seule espèce à l'être est la nôtre, il n'y en a pas d'autres. Les animaux participent à la biodiversité, contrairement à l'homme ils ne passent pas leur temps à tout saccager.
Pensez-vous que cette loi a été inspirée par le débat qui a lieu actuellement sur les animaux, avec notamment les positions de Boris Cyrulnik ou Elizabeth de Fontenay ?Oui, probablement, moi j'y consacre ma vie depuis 40 ans mais que des «intellectuels» s'emparent du débat donne une nouvelle force au combat.
En pratique, qu'est-ce que cela peut changer ?Pas grand-chose malheureusement, cela n'empêchera pas la corrida, l'expérimentation animale, la chasse à courre ou toutes les autres cruautés que l'homme inflige à l'animal.
Quels sont les prochains combats en matière de la défense des animaux?Les combats sont nombreux mais je veux, avant ma mort, obtenir que tous les animaux soient étourdis avant leur abattage, c'est un minimum. J'ai mené ce combat en 1962 et obtenu cette obligation d'étourdissement, mais avec la généralisation actuelle de l'abattage rituel nous avons fait marche arrière, c'est scandaleux. La corrida est une honte aussi, quand je vois que l'un de mes collaborateurs, mon bras droit, est traîné devant les tribunaux pour avoir participé à une action pacifique dans les arènes de Rion-des-Landes en 2013 et qu'il n'y a toujours aucun procès en vue pour les tortionnaires de Rodilhan qui ont lynché, en 2011, les manifestants, je trouve qu'il y a deux poids deux mesures, nous vivons dans une injustice flagrante.
Est-ce que la France est en retard dans la défense des animaux ?C'est peu de le dire, la France est le pays de l'Union européenne qui sacrifie le plus d'animaux dans les laboratoires, le pays où la chasse à courre et la corrida prospèrent, où tous les tortionnaires sont reçus à bras ouverts. Franchement, moi qui ai porté l'image de la France dans le monde, aujourd'hui ce pays me fait honte.»
Article de La Depeche 4 mai 2014.